1151-1181 HENRI I° – dit Le libéral

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HENRI I°, Dit LE LIBÉRAL, ou LE LARGE,

IX° Comte de champagne

 

L’an 1 152, HENRI I°, dit aussi Richard , suivant Geoffroi du Vigeois, fils aîné de Thibaut Il, (lV), lui succéda au comté de Champagne.

N’étant que comte de Meaux, il avait accompagné, l’an 1147, le roi Louis le Jeune à la croisade, et s’y était comporté d’une manière qui faisait honneur à sa naissance et à son éducation.

Nous avons une lettre de ce monarque, écrite du levant, à Thibaut, père de Henri, dans laquelle il fait l’éloge de la conduite de son fils. (1) Cependant il laissa le monarque en Palestine après la levée du siège de Damas, et fut du nombre de ceux qui revinrent les premiers en France avec Robert, comte de Dreux , frère du roi. Robert et Henri , à leur retour , prirent jour pour un tournoi où l’on devait combattre à outrance après les fêtes de Pâque.

Saint Bernard, l’ayant appris, écrivit à Suger, régent du royaume, pour l’engager à rompre cette partie avec l’autorité dont il était revêtu.

« Jugez, lui dit-il, des dispositions qu’ils ont portées à

» la Terre-Sainte par celles qu’ils en rapportent. Mais opposez

» vous au mal par vos remontrances ; et si elles n’ont point de

» succès , joignez – y la force ; j’entends celle qui appartient à la

» discipline ecclésiastique ».

Il est à présumer que ce tournoi n’eut point lieu. Henri , devenu comte de Champagne, prit la qualité de comte palatin affectée à l’aîné de sa maison, et se dit seigneur féodal du comté de Blois, de Chartres, de Sancerre et de la vicomté de Châteaudun, parce que les puînés, par droit de frérage, lui en faisaient hommage. Ce fut comme leur suzerain qu’il rendit lui – même foi et hommage, pour tous les princes de sa maison , au roi Louis le Jeune.

Henri était un des courtisans les plus déliés de son temps. Il eut l’adresse de s’insinuer si avant dans l’esprit du monarque, que nul autre seigneur ne vécut avec lui dans une plus grande intimité. L’empereur Frédéric I°, qui connaissait l’ascendant qu’il avait sur l’esprit de Louis le Jeune , se servit de lui pour tendre un piège à ce prince. Il s’agissait de † à une conférence où il amènerait le pape Alexandre III, tandis que de son côté Frédéric y viendrait avec son antipape Victor pour décider lequel des deux était le véritable pontife. Le lieu du rendez-vous était le pont de Saint-Jean de Laune.

Henri accepta d’autant plus volontiers la commission, qu’il était parent de Victor, et se flatta d’autant plus d’y réussir , qu’il savait le roi indisposé contre Alexandre, à cause du mauvais accueil qu’il avait fait à ses ambassadeurs, qui étaient venus le complimenter à son arrivée en France. Il ne se trompa point. Louis se rendit à l’invitation de l’empereur ; et, s’étant mis en marche l’an 1 162 , il alla trouver Alexandre au prieuré de Souvigni ( et non à Torcy-sur-Loire), pour le déterminer à venir défendre lui-même sa cause contre son compétiteur. Mais, quel qu’instance qu’il lui fit , il ne put rien obtenir.

Alexandre se retrancha toujours dans les motifs qu’il avait de se défier de la droiture de l’empereur, et l’événement fit voir qu’il n’avait pas tort. En effet Louis étant arrivé sur le lieu de l’entrevue au moment marqué, n’y trouva point Frédéric. Il y était venu à la vérité avec Victor ; mais au lieu d’attendre le roi, il s’en était retourné sur le-champ, comptant avoir acquitté sa parole et mis le roi de France en défaut.

Louis étant revenu à Dijon , le comte de Champagne vint le trouver pour lui déclarer qu’il ne se croyait pas dégagé de la promesse qu’il avait faite, de concert avec lui, à l’empereur, de l’amener à une conférence avec ce prince : il ajouta qu’il avait obtenu de celui-ci un délai de trois semaines , à condition que le roi promettrait, · en donnant des otages, d’amener Alexandre avec lui, et d’en passer par le jugement qui serait rendu sur la canonicité de son élection ; sans quoi lui comte irait, suivant qu’il en était convenu, se rendre prisonnier de l’empereur à Besançon.

Louis déféra, non sans chagrin, aux propositions du comte, et donna pour otages le duc de Bourgogne avec les comtes de Flandre et de Nevers. Mais, étant revenu au pont de Saint-Jean de Laune, il n’y trouva que l’archevêque de Cologne , chancelier de l’empereur, avec sa suite. Ce prélat lui déclara de la part de son maître que son intention n’était pas de souffrir qu’on jugeât avec lui la cause de l’église romaine , attendu que ce droit n’appartenait qu’à lui seul. Louis, persuadé que cette déclaration le délivrait de tout engagement, comme tous les seigneurs présents interrogés en convinrent, tourne son cheval, qui était fort vif, et part aussitôt.

Ce fut en vain que les Allemands coururent après lui pour le prier de retourner , l’assurant que l’empereur était proche et disposé à tenir tout ce que le comte de Champagne avait promis de sa part. Louis, content de répondre qu’il avait fait tout ce qu’il devait, continua sa route. Cependant Henri, feignant de se croire toujours lié vis-à-vis de l’empereur, alla se constituer son prisonnier en Allemagne. C’était un jeu concerté entre l’empereur et le comte.

Frédéric rendit bientôt à Henri la liberté, moyennant l’hommage qu’il lui fit de certaines terres de Champagne , quoique tout ce comté relevât également du roi de France. Rien . de plus légitime au reste que cet hommage, si l’infidélité prétendue de Louis eût été réelle envers le comte. La loi féodale en effet autorisait le vassal à sortir de la mouvance de son suzerain, lorsque celui-ci manquait à la foi qu’il lui devait :

car li sires, dit XI. –
Beaumanoir, doit autant foi de loyauté à son homs, comme lé hom s fet à son seigneur.

Henri, l’an 1 178, se croise de nouveau pour la Terre-Sainte, et part, l’année suivante, avec Pierre de Courtenai, frère du roi ; Philippe, évêque de Beauvais, neveu du même prince ; le comte de Grandpré , Guillaume , son frère, et d’autres seigneurs. Les chrétiens de Palestine tirèrent peu de profit de ce voyage. Henri, en s’en revenant par I’Asie mineure et l’Illyrie, tombe, en 118o, dans une embuscade qu’on lui avait dressée , et perd la liberté avec ses équipages et la plupart de ses gens qui furent tués.

L’empereur grec l’ayant délivré, il continua sa route, et arriva en § le 1 o mars 1 181 , mais avec une santé si délabrée, qu’il mourut à Troyes sept jours après son retour. Sa veuve fit orner magnifiquement son tombeau, tel qu’on le voit encore dans l’église de Saint-Etienne de Troyes, qu’il avait fondée l’an 1 157 Les grandes libéralités de ce prince envers les églises, les pauvres et les gens de lettres, lui méritent le surnom de Large ou Liberal.

On raconte qu’un gentilhomme s’étant adressé à lui pour avoir de quoi marier une de ses filles, le trésorier de ses finances lui remontra qu’il avait déjà sait tant de largesses à de pareils importuns, qu’il ne lui restait plus rien à donner. Vilain , lui dit le prince, « vous en mentez. Si ai-je encore à donner. Je vous donne , et vaudra le don puisque m’appartenez. Si le prenez , ajouta-t-il au gentilhomme, et lui faites payer rançon tant qu’il y ait de quoi finer au mariage de votre fille. »

Et ainsi y fut fait , disent les historiens de Champagne. Le P. Pagi place la mort de ce prince en 1 197, et suppose qu’il a été crée roi de Jérusalem l’an i 192. C’est une double méprise dans cet habile critique, qui attribue à ce prince ce qui ne peut convenir qu’à Henri II, son fils. Henri I avait été fiancé l’an 1 155, comme il le déclare dans une charte donnée en faveur du prieuré de Coincy , à MARIE, fille aînée du roi Louis VII et d’Éléonore, et l’avait ensuite épousée.

De ce mariage il laissa Henri II, qui lui succéda ; un autre fils, nommé Thibaut, successeur de Henri II ; et deux filles, Scolastique, mariée à Guillaume V , comte de Vienne et de Mâcon ; et Marie, qui épousa, l’an 12o4, Baudouin , comte de Flandre, depuis empereur de Constantinople. Marie, femme du comte Henri, mourut le 11 mars 1 198, de regret d’avoir perdu son fils aîné. La ville de Meaux est redevable au comte Henri de sa commune, qu’il lui accorda l’an 1 179. (2)

Sur le contre-scel de quelques chartes de Henri on lit cette devise , qui était le cri de guerre des comtes de Champagne et de Blois :

Passe avant le meillor.

On y voit aussi des potences contre-potencées. (Chifflet, S. Bernardi gen. illustr. p. 579.)
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(1)(Duchêne, Script. Franc.,T. IV, p. 519.)

(2)Liber principum , folio 26o.