Une ancienne et étrange coutume Marnaise : Les vergers de Bisseuil…

Une ancienne et étrange coutume Marnaise : Les vergers de Bisseuil…

27 janvier 2015 0 Par lechampenois

Il existait dans certaines provinces françaises, une coutume gracieuse qui consistait à planter un arbre dans son jardin lors de la naissance d’un garçon. Les gens pensaient alors qu’un lien secret se formait entre l’enfant et l’arbre et que les deux poussant ensemble ils gagnaient en vigueur tout au long de leur croissance.


Il existait dans certaines provinces françaises, une coutume gracieuse qui consistait à planter un arbre dans son jardin lors de la naissance d’un garçon. Les gens pensaient alors qu’un lien secret se formait entre l’enfant et l’arbre et que les deux poussant ensemble ils gagnaient en vigueur tout au long de leur croissance.

Sans vraiment croire à cette légende que je connaissais, en décembre 1981, pour le premier Noël de mon fils Jérôme, j’ai planté le sapin dans notre jardin, et si vous passez par la rue Francis Poulenc, vous verrez devant le numéro 24 de la rue, un énorme sapin de plus de 10 mètres de haut, juste devant la maison…Il faut dire que cet arbre a aujourd’hui presque 34 ans…

C’est un peu cette sorte de coutume, curieuse et ingénieusement conçue, qui a existé jadis, dans le village de Bisseuil. Mais au lieu d’assurer un compagnon à l’enfant, cette coutume avait en notre Champagne un but autrement sérieux et pratique, celui de l’aider a trouver une épouse, plus tard , quand viendrait le moment de se marier.

Voici en résumé, ce que j’ai trouvé, dans «le dictionnaire social et patriotique» d’un certain Lefèvre de Beauvron, écrit en 1770, lors de mes recherches sur les Us et Coutumes de notre belle région :

«De temps immémorial, il subsiste à Bisseuil, village près d’Épernay en Champagne, une coutume très sage et avantageuse à la population comme à l’agriculture. Aucun garçon ne peut s’y marier sans qu’il ait planté de ses mains vingt-cinq arbres dans les vergers et les pépinières de la commune».

Cette vieille et curieuse coutume de Bisseuil peut sembler bizarre, mais en y réfléchissant bien elle avait son utilité qu’on ne soupçonne pas au premier abord. On peut même penser qu’elle avait peut-être été implantée soit par un vieux chef de clan, soit par un curé, ou peut-être par un échevin avisé, qui avait trouvé là un bon moyen de rendre la population plus laborieuse, et empêcher du même coup les étrangers à la paroisse, de venir enlever pour les épouser les filles du village. Car on sait bien, à cette époque, cette crainte était forte dans nos campagnes, et malgré des mœurs pourtant paisibles, on s’appliquait à entretenir la défiance des familles contre les prétendants du dehors, allant même quelques fois, leur inventer des tares et des défauts imaginaire…

Visiblement la coutume de Bisseuil allait dans ce sens. Ainsi, tout garçon du village qui plantait et soignait ses vingt-cinq arbres fruitiers, offrait par la seule vue de son verger une référence sérieuse pour un bon mariage et devenait incontestablement une valeur morale, sociale et domestique qu’il fallait garder à la communauté. Et puis, si d’un coté, la propriété le fixait, l’attachait au sol par les racines de ses arbres, il prenait d’autre part, et dès le jour de la plantation, figure de prétendant officiel devant le parterre des filles à marier. Pouvait-il y avoir influence plus féconde sur sa conduite et son caractère ? Pouvait-il y avoir par conséquent, meilleur gage de bonheur pour son mariage futur bien que, le jeune propriétaire des ses arbres fruitiers, n’avait plus alors le moment venu qu’a faire son choix parmi les filles du village…

Aujourd’hui et depuis longtemps, le village de Bisseuil à oublié le souvenir de cette obligation qui pourtant a duré des siècles, mais les effets y ont été longtemps visibles. Dans les ventes, les étrangers conscients de la richesse des terrains plantés d’arbres fruitiers, disputaient à prix d’or aux indigènes, le moindre lopin en les couvrant d’or, si bien que le sol a été morcelé en parcelles insignifiantes. Puis les codes nouveaux vinrent défendre les plantations et cette condition imposée aux garçons s’est trouvée naturellement totalement proscrite.

Cela dit, on se marie toujours à Bisseuil.

Mais les «épouseurs» étrangers au village, n’ayant plus entre eux et l’épouse convoitée le frémissantes ramures des pommiers, cerisiers et autres pruniers sont revenus sur cette terre longtemps interdite, au grand dam, certainement, des garçons du village…

© Marcel Malette