Se j’ai long temps esté en Romanie
Se j’ai long temps esté en Romanie (43)
Se j’ai long temps esté en Romanie
Et outre mer fait mon pelerinage ,
Soffert i ai moult douloureux domage
Et enduré mainte grant maladie.
Mais or ai pis qu’onques n’oi en
Surie; Que bon Amour m’a doné tel malage ,
Dont nulle fois la douleur n’assouage.
Ains croist adès, et double, et multiplie,
Si que la face en ai toute palie.
Car jeune Dame et cointe, et envoisic
Douce et plaisant, belle, courtoise et sage,
M’a mis au cuer une si douce rage
Que j’en oublie le voir et la ouye,
Si come cil, qui dort en létargie,
Dont nus ne puet esveiller son courage.
Car quant je pens à son très doux visage ,
De mon penser aim miex la compagnie,
Qu’onques Tristan ne fist Yseult s’amie.
Bien m’a Amour féru en droite voine
Par un regard plein de doulce espérance,
Dont navré m’a la plus sage de France,
Et de beauté la rose souveraine.
Et m’esmerveille que la plaie ne saigne;
Car navré m’a de si douce semblance
Qu’onques ne vy si tranchant fer de lance:
Mais il ressemble au chant de la Siraine,
Dont la douceur attent douleur et peine.
Puisse je sentir sa très douce haleine
Et retenir sa simple contenance!
Que je désir s’amour et s’acointance
Plus que Paris ne fit onques Heleine.
Et s’Amour n’est envers moi trop vilaine,
Ja sans merci n’en feray pénitence,
Car sa beautés et sa très grant vaillance
M’ont cent sospirs le jour doné d’estraine
Et li biaus vis où la vi primeraine.
Et sa face, qui tant est douce et belle
Ne m’a laissé qu’une seule pensée.
Et celle m’est au cuer si embrasée,
Que je la sens plus chaude et plus isnelle
Qu’onques ne fust ni braise n’estincelle.
Si ne puis pas avoir longue durée ,
Sé de pitié n’ai ma Dame navrée,
Quand ma chançoj lui dira la nouvelle
De la douleur, qui^onr lui me flaelle.
Chançon, va-t-en à Archier, qui vielle
Et à Raoul de Soissons, qui m’agrée:
Di leur qu’Amours est trop tranchant espée.