Villers-aux-bois

Villers-aux-bois

2 janvier 2018 0 Par lechampenois

Villers aux bois est une commune étrange : littéralement le village aux bois ; force est de constater qu’il en est totalement dépourvu. Pas la moindre futaie, pas un bosquet, rien, même pas un début d’explication.

Villers aux bois, le village sans arbres. Pourtant des arbres à Villers, il en fut question dans les années 40.


En ce temps là il y avait au conseil municipal un certain monsieur Berra. Petit, maigre et grisonnant jusque dans la moustache, il était toujours vêtu du même costume noir zébré de fines bandes blanches. Usé jusqu’à la trame, l’un n’allait jamais sans l’autre. Pour autant au-delà des apparences la toile de coton élimée cachait l’un des plus influents notables de la région.

 

En effet, Monsieur Berra était riche, très riche même. En plus de ses vignes à Vertus, de ses résidences à Epernay et de quelques autres possessions, il était l’heureux propriétaire d’une ou deux parcelles de forêt. Fortuné, vertueux, dévot par certains aspects, époux d’une femme aimante et discrète, Monsieur Berra incarnait à lui seul la respectabilité provinciale. Une chose, toutefois, lui manquait : des enfants, une descendance. La nature ne voulant pas lui en accorder, avec le temps lui et son épouse s’étaient résignés. La mort dans l’âme ils avaient désigné par testament la commune de Villers aux bois comme unique héritière.
Une aubaine pour le village. En contrepartie, Monsieur Berra ne demandait rien, si ce n’est le poste de maire. Ce n’était pas écrit texto dans ses dispositions mais pour lui l’affaire allait de soi. Pour lui seulement.
Puisque le jour des élections, c’est un autre qui fut désigné premier magistrat. Pourquoi ? Peut-être par jalousie, on ne sait pas bien aujourd’hui au village, ou on ne souhaite pas le dire. Vexé, Berra prit ses clics et ses clacs, ses vignes et ses forêts, pour aller voir plus loin, si la reconnaissance y était meilleure. Donc, toujours pas de bois à Villers. Dumoins selon la version officielle.

Une autre histoire, plus secrète, nous donne une toute autre explication. En effet, selon certains anciens, la commune n’aurait pas toujours été dépourvue de bois. Encore mieux, au moyen-âge Villers se trouvait au coeur de la forêt, celle-la même, qui des années plus tard était possession de notre monsieur Berra. (Un peu plus à l’ouest qu’aujourd’hui, près de Chaltrait, le village voisin). On ne sait pas bien où exactement et personne ne cherche parce que ce bois est maudit.

En effet, l’ancien village aurait été abandonné lors de la grande peste noire du 14ème siècle. Les morts étaient ici encore plus nombreux qu’ailleurs. Soupçonnant la terre d’avoir subi un mauvais tour du diable, persuadés qu’elle transmettait le mal, les habitants avaient fui leur village et la forêt, ne laissant que des ruines. Durant six siècles, l’histoire s’est ainsi transmise et avec elle la peur.

Alors, quand un homme est venu leur redonner ces terres maudites, il n’en était pas question ; pas question non plus de refuser un héritage, ça porte malheur et ça ne se fait pas. Il devait donc partir avant le trépas, quitte à se fâcher avec lui. C’est pour cela que Monsieur Berra ne fut pas élu. Durant un temps, il avait décidé, par défi, de faire construire en sa forêt une immense maison, rutilante de dorure et de marbre.

Mais emporté par « un mal » aussi soudain que brutal, Berra n’en eut pas le temps. Pour autant à Villers aux bois personne ne s’est jamais battu pour récupérer ses terres. Les anciens ne les avaient sans doute pas quittées pour rien.